Nous sommes lundi 2 novembre 2020 et demain, l’Amérique élira son 46ème président.
Le pays se trouve actuellement à un tournant de son histoire et l’élection va se dérouler dans un climat d’extrêmes tensions, notamment raciales.
Black lives matter
Mardi dernier, la mort d’un homme noir à Philadelphie, tué à bout portant par des policiers, a de nouveau ému et révolté le pays. Ces événements ont relancé le mouvement « Black lives matter » et Philadelphie s’est embrasée, donnant lieu à de multiples émeutes. Le jeune homme, Walter Wallace Junior, souffrait de troubles mentaux. Sa mère avait appelé les secours de santé et à la place, c’est la police qui est venue et qui a fait virer les événements au drame. La police représente un budget écrasant dans de nombreux états et a beaucoup de pouvoir.
La racisme anti-noir aux Etats-Unis existe depuis toujours. Il est basé sur un sentiment de déclin de l’Amérique blanche, sentiment qui est très bien décrit dans le nouveau livre « Pauvre petit blanc » de Sylvie Laurent, historienne et américaniste. Elle raconte comment Donald Trump parle à l’Amérique blanche qui se sent déclassée.
Ce racisme est une construction historique. Depuis les années 1960, le parti républicain explique aux américains que les noirs prennent leurs places dans les universités, qu’ils prennent les meilleurs emplois, etc.
Ils ont construit le mythe de la race blanche prétendument menacée, notamment dans sa culture. L’élection d’Obama en 2008 a malheureusement fait ressurgir ce sentiment de peur d’être dominé par les noirs dans les esprits où le racisme était déjà bien implanté. « On nous prend notre pays », « Les noirs vont devenir majoritaires », voici le type de craintes que le parti républicain nourrit et répand.
Cette peur a donné du pouvoir à Trump qui a beaucoup joué sur la préservation raciale avec la promesse de protéger les riches banlieues blanches. L’Amérique a vu naître des groupes d’extrême droite, menés par des personnalités diplômées, qui ont pour slogan principal : « Reclaim America » – soit « rendre l’Amérique aux blancs ».
La démocratie en danger
Jean-Luc Hees, journaliste, ancien président du groupe Radio France et passionné par l’Amérique, se demande encore aujourd’hui pourquoi 63 millions d’américains ont voté pour Donald Trump en 2017. Dans « L’Amérique, la facture« , il se demande quelles seront les conséquences que son inconséquence aura, notamment sur les relations internationales et l’économie mondiale.
Ce qui inquiète le plus les spécialistes est que le pays est selon eux en voie de dé-démocratisation. Le droit de vote est mis en danger. Les instances politiques sont dévalorisées et discréditées, on supprime le droit de vote de millions d’américains…
Les Etats-Unis ont toujours été extrêmement divisés mais ils se sont toujours mis d’accord sur le fait qu’ils avaient un projet politique commun, un horizon. Cette institution centrale qui est donc le vote étant actuellement dé-légitimée et discréditée, la démocratie est en danger. Certains commerçants barricadent même leurs magasins car ils ont peur de ce qui va se passer mardi ou mercredi à la suite des résultats des élections.
Le New York Times exprime le fait que selon eux, ce serait la pire catastrophe depuis les attaques nucléaires si Donald Trump était réélu. « The atlantic« , une revue ancienne qui ne positionne jamais ouvertement pour un candidat ou un autre, soutient actuellement Joe Biden, prenant position pour la première fois dans l’histoire de la revue.
Quels sont les arguments de Donald Trump ?
Les meetings de campagne ont eu lieu cette année sur scène, avec des micros et les américains parfois restés dans leurs voitures afin de respecter les gestes barrières.
Donald Trump appuie son discours de campagne sur le fait que Joe Biden va leur prendre leurs armes à feu. Il défend le 2ème amendement qui autorise le port d’armes aux Etats-Unis et auxquels beaucoup d’américains sont attachés car, sans armes, ils voient leur sécurité menacée.
Le vote des femmes : contrairement à ce que l’on pourrait penser, les femmes avaient majoritairement voté pour lui dans certains états, dont le Michigan. Trump représente pour certaines femmes la liberté et la prospérité et il existe même des clubs de femmes qui le soutiennent.
Dans le Minnesota, Donald Trump est très populaire car il promet de défendre et de conserver les mines d’exploitation du fer, qui selon les écologistes, menacent l’environnement. Trump promet au contraire de les protéger et de les développer, sachant que cela représente plus de 20 000 emplois et une part importante de l’économie de la région. Pour une certaine partie de la population, les mines représentent toute leur vie, de génération en génération et ils savent que les démocrates menaceront leurs emplois s’ils sont élus car ils favoriseront l’écologie.
De manière générale, Trump est majoritaire parmi les ouvriers blancs et non-diplômés.
Il a su aussi conquérir le coeur des bûcherons de la région en les soutenant comme jamais aucun président ne l’avait fait auparavant. Les bûcherons reportent qu’avant la pandémie, le pays était selon eux en plein boom économique, avec très peu de chômage donc selon eux, Trump a tenu ses promesses et est en réelle capacité de développer la puissance économique du pays. Ils apprécient son côté « homme d’affaires » et aiment le fait que c’est quelqu’un qui sait ce que c’est de ne plus rien avoir et de se battre pour s’en sortir.
Je tiens aussi d’une amie qui a vécu 30 ans aux Etats-Unis que beaucoup d’américains votent pour un parti avant de voter pour une personne. Cela peut grandement aider à expliquer le vote des américains pour Trump en 2016. Beaucoup ont voté pour le parti républicain et non pour cette personne en particulier. On peut facilement comprendre cela : quand on a toute sa vie voté pour un parti, il peut être difficile d’en changer, même si certains aspects de la personnalité du candidat nous dérangent.
Qui est Joe Biden ?
Joe Biden a tout d’abord été le vice-président et donc le colistier de Barack Obama lors de son élection en 2008. Joe Biden représente le courage d’être humain, d’être lui-même et de ne pas jouer un rôle purement politique. Il incarne la résilience car il a eu un parcours personnel jonché par les drames et la souffrance : il a perdu sa femme et sa petite fille de deux ans dans un terrible accident de voiture lorsqu’il était jeune et, plus récemment, il a perdu un de ses fils atteint d’une tumeur. Il sait donc ce que c’est que de tout perdre et a su faire de ses difficultés une force, une humanité. Il montre beaucoup d’empathie et d’altruisme et met en avant le fait qu’il saura se mettre à la place du peuple américain.
Par ailleurs, Joe Biden n’est pas diplômé de la Ivy league. Trump l’est par contre. Joe Biden serait donc le candidat qui permettrait à ceux qui ne sont pas diplômés des universités d’élite et qui ne se sentent pas reconnus de s’identifier à lui.
A la veille de l’annonce des résultats, les sondages américains placent Joe Biden comme favori.
Et si le monde devait voter ?
Le monde choisirait Joe Biden de manière encore plus majoritaire qu’aux Etats-Unis : à 48%, contre 17% pour Donald Trump. Il y a néanmoins des pays pro-Trump, tels que la Russie, la Pologne, la Turquie et l’Inde.
Et en France ? Les sondages annoncent que seulement 10% de français voteraient pour Donald Trump et 50% pour Joe Biden.
Pour nombre de français, Donald Trump reste quand même le président qui a séparé des enfants de leurs parents à la frontière avec le Texas, construit un mur qui coûte une fortune à la frontière avec le Mexique, dit qu’il suffisait d’attraper les femmes par … lorsque l’on était riche, etc.
Quels sont les Etats-Clés ?
Aux Etats-Unis, les élections présidentielles fonctionnent à deux vitesses : le vote du peuple et le vote des grands électeurs, ces derniers étant des personnalités influentes dans leurs Etats. Il faut donc à la fois gagner de nombreuses voix de la part du peuple mais aussi, et surtout, gagner les Etats les plus importants grâce aux votes des grands électeurs.
La Floride fait partie de ces Etats-clés et Joe Biden y était la semaine passée pour rencontrer son public. Les autres Etats clés sont : le Minnesota, le Michigan, le Wisconsin, la Floride, l’Arizona, la Pennsylvanie et la Caroline du Nord.
Qui est Kamala Harris ?
Kamala Harris est la colistière de Joe Biden. Cela signifie que si Joe Biden est élu, elle sera sa vice-présidente. Elle a 56 ans, c’est une ancienne procureure et sénatrice de Californie, et elle serait la première femme vice-présidente des Etats-Unis et surtout la première femme noire à arriver à ce poste. D’une mère indienne et d’un père jamaïcain, elle est métissée et dans le contexte brûlant du mouvement « Black lives matter« , cet élément représente un nouveau symbole de l’acceptation de la diversité.
Elle est appréciée pour sa jeunesse, son énergie et petit détail à noter : Joe Biden ayant plus de 70 ans, s’il est élu, il ne ferait peut-être qu’un seul mandat et cela placerait donc Kamala Harris dans une position très favorable pour devenir la présidente suivante.
Source : Emission C politique sur France 5 du 1er novembre 2020.